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devaient être remises aux colporteurs ; ou bien, ils reviennent à la factorerie et présentent de nouvelles exigences.

— Si vous ne me donnez pas d’eau-de-vie ce soir, disent-ils, les Petits vont m’en donner ; à l’avenir, je leur porterai mes fourrures.

À leur tour, les Blancs sont victimes du chantage. Menaçants, les Saulteurs obtiennent des prix exorbitants pour leurs fourrures ; ils négligent le paiement de leurs crédits ; ils exigent, sans vergogne, les objets qui flattent leurs caprices ; ils obtiennent des cadeaux et ne chassent presque plus.

Les Saulteurs aussi connaissent les Blancs depuis un temps plus long que les autres tribus indiennes. Leur expérience dans la pratique du chantage est plus longue, et, lorsqu’ils le peuvent, ils s’y livrent avec arrogance : c’est leur revanche pour les années de monopole ou d’entente entre les compagnies, lorsque les prix des fourrures sont fixés trop bas et que les crédits doivent être remboursés jusqu’au dernier sou.

Montour se rend dans le Nord pour étudier la situation. Mais son arrivée déclenche une recrudescence de demandes, de plaintes ou de menaces. S’il en tient compte, il n’aura plus bientôt de marchandises ou d’eau-de-vie, et il perdra quand même un bon tiers des pelleteries sur lesquelles il comptait.

Il faut donc couper le mal dans sa racine. Montour n’hésite pas. Il promet deux pintes d’alcool à un groupe de Saulteurs bien choisis.

Et la nuit suivante, les trois hommes que les Petits avaient envoyés en dérouine sont saisis, battus, et reconduits très loin sur la route de leur factorerie. Leurs marchandises et leurs fourrures sont volées. Abandonnés dans la neige, sans nourriture, sans attelage de chiens, sans armes, les engagés parviennent à regagner un poste, mais deux d’entre eux meurent au bout de quelques jours.

Cette dure riposte suffit.

Montour revient, tranquillisé. Il se promène autour du fort, de bonne humeur, communicatif. Il est toujours ainsi, pendant quelques jours, après une victoire.

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