Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.

veulent boire, ils devront chasser. Plus de rhum, si ce n’est en échange de peaux de castor. La menace accomplit son effet, car un Saulteur peut-il abandonner un chantier tant qu’il sait qu’il y a de l’eau-de-vie dans le magasin ? Et maintenant, les autres forts, trop éloignés, n’exercent plus d’attraction.

Les Indiens plient bagage ; ils posent leurs wigwams aux endroits indiqués par Montour. Celui-ci fournit aussi à ses engagés des munitions et des pièges ; et les hommes s’échelonnent en longues lignes à travers les bois, dans toutes les directions. Voilà ce que l’on peut appeler l’exploitation méthodique d’une région.

Et la neige commence de tomber, non pas dure, sèche et légère comme dans le Nord, mais mouillée, épaisse, abondante, molle, lourde. Elle laisse choir ses couches sur les toitures des chantiers, sur les arbres ; elle oblige les hommes à creuser de profondes tranchées pour retrouver le seuil des portes.

Nicolas Montour se retourne alors du côté de Louison Turenne. Depuis l’arrivée, dans le tumulte et l’excitation des boissons, des départs, de la construction des chantiers, celui-ci a joui d’un certain répit ; il a repris goût à l’existence. Devenir trappeur ne lui a demandé aucun effort ; peu de métiers lui réservent autant de plaisirs.

Mais Montour est là qui veille. Un jour, Turenne a besoin d’un couteau. Il s’arrête à l’entrepôt pour acheter quelques articles. Le commis lui offre diverses marchandises ; il étale sur le comptoir des pièces spéciales d’habillement. Il trouve un gobelet et lui offre des boissons à goûter. Son obséquiosité met Turenne en éveil.

— Depuis mon départ de Kaministiquia, quel est le montant de ma note ? demande-t-il subitement.

— Je ne sais pas au juste… Je ne pourrais vous dire cela ainsi, tout de suite.

L’embarras du commis commande à Turenne d’insister. Alors il attend pendant que l’autre consulte ses registres. Et lorsque la réponse vient, il apprend que pour chaque article qu’il a acheté de la Compagnie il a été énormément surchargé.

[ 183 ]