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douceur de la nuit, la consolation d’un peu d’oubli, les affidés surviennent, ils ont gardé une dernière tâche à Turenne ; ils ont pensé durant tout le jour à l’obstacle qu’ils pourraient mettre sur ses pas, et maintenant ils agissent.

Ils empêchent encore le gouvernail de bien exécuter son travail, lui qui a le souci de la perfection. Ils recherchent les petites occasions de le vexer et de le tourmenter, de le déranger à l’heure des repas, d’interrompre son sommeil, de gâcher un plaisir qu’il se promettait et dont ils avaient été avertis.

Le harceler du matin au soir, l’accabler de tant de travaux que sa santé soit gravement compromise, le persécuter sans répit, voilà le but. Et l’attaque, par son intensité, par sa continuité, devient vicieuse et maligne. Nicolas Montour n’a jamais été aussi résolu. Il entend rendre l’existence impossible à son subordonné, si celui-ci ne capitule point ; et sa fertilité d’invention, qui ne connaît pas de borne, s’exerce dans toute sa force.

Mais là où il atteint Turenne au plus vif, c’est dans ses amis. Louison Turenne en comptait encore quelques-uns, car nul plus que lui n’appréciait l’amitié, la joie des conversations longues entre hommes du même caractère, l’entr’aide mutuelle qui diminue la fatigue de vivre.

Mais la touche de Nicolas Montour tient de la magie, dirait-on. À des signes bientôt connus, à des symptômes répétés, Louison Turenne voit ses amis, l’un après l’autre, se modifier du jour au lendemain et passer de son camp dans celui de l’adversaire. Subitement, chacun entreprend de jouer auprès de lui le rôle que Montour a joué auprès de François Lendormy, autrefois : l’intimité devient espionnage, la conversation devient tendancieuse, le mot qui doit porter, qui est lourd de sens, s’insère au milieu de tout un fatras de paroles, les conseils de capitulation se multiplient. Chaque plainte, chaque réflexion, chaque confidence faite, Louison Turenne la voit thésaurisée pour être rapportée au traiteur.

Car Montour veut se tenir au courant, le gouvernail le devine ; il veut connaître à mesure les réactions de sa victime,

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