Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et quatre ou cinq chopines d’alcool pour les Pieds-Noirs ; six chopines pour les Cris et les Assiniboines, sept ou huit enfin pour les Saulteurs. Atteinte la première par les Blancs, cette tribu est plus adonnée que les autres aux boissons alcooliques. Dans les pays d’En-Haut, la durée du contact avec la civilisation se mesure à la dose plus ou moins forte d’alcool qu’un naturel peut absorber.

Toute la bande boit : elle s’est plongée, en effet, dans l’une de ces infernales boissons dont Montour a eu la révélation atténuée au Fort Vermillon. Les nations de Rabaska s’enivrent avec tristesse ; celles des plaines avec austérité ; mais les orgies des Saulteurs sont diaboliques. Dans la nuit éclatent des clameurs, des hurlements, des cris de bête ; les courses luxurieuses se produisent dans une folie de stupre et de sang. Avec toute leur violence se déchaînent les passions de la vengeance et de l’amour. Meurtres et voies de faits se succèdent. « Je n’étais pas responsable, c’était la boisson », excuse commode qui sert toujours aux Indiens.

Jour et nuit, William Henry poste des sentinelles autour du camp. Car si le rhum manque, les sauvages viennent mendier, supplier à genoux et pleurer de désir ; ils embrassent les pieds des Bourgeoys. Mais la colère couve toujours derrière l’humilité. Une flambée d’impatience monte dans les yeux. Soudain, les Indiens menacent, ils reviennent avec des gourdins et des pierres ; et les voyageurs doivent repousser les assaillants à coups de crosse de fusil ou de haches.

Au matin du troisième jour, le bourgeoys tient bon : plus de boisson. Les Indiens se dégrisent : l’un d’eux se meurt d’un coup de hache sur l’épaule, deux femmes ont le nez arraché par les dents de leurs maris jaloux. Heure décisive. On allume les calumets des délibérations.

William Henry et Montour veulent convaincre cette bande qu’elle doit passer l’hiver avec Montour au lac de la rivière Rouge ; elle chassera le castor et la loutre qui foisonnent dans les cours d’eau de ce district, elle ravitaillera le poste.

Mais les Saulteurs ne veulent pas entendre parler de ce

[ 167 ]