Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sortent de terre les canots enfouis à l’automne, ils les réparent et en fabriquent de nouveau. De leurs excursions dans les bois ils rapportent de l’écorce de bouleau, du wattap et de la résine. Puis ils pressent les fourrures, enveloppent les paquets, cinquante à soixante peaux de castor, dans une peau de bison moins précieuse.

Activité fiévreuse. Chaque jour, des bandes d’indiens arrivent. Toutes, elles doivent se rendre au seul fort qui demeure, y abandonner leurs pelleteries, y prendre leurs crédits d’été. La population de la factorerie est sur les dents ; car, en plus des travaux réguliers, Nicolas Montour lui a imposé une sévère discipline : fusil au poing, des engagés postés aux endroits stratégiques veillent constamment. Les Indiens ne sont admis qu’en petit nombre et complètement désarmés ; le pierrier, près duquel se tient un homme, est toujours braqué sur les loges indiennes qui se remplacent sur l’autre rive.

Louison Turenne partage ces travaux. Mais il a l’œil ouvert. Sans raison plausible, il a vu soudain les ballots de fourrure se multiplier dans les entrepôts, comme par miracle. Puis un jour, il a aperçu sur une peau de castor le signe bien connu : XY. Pas de doute, Nicolas Montour a rattrapé les pelleteries des deux autres forts. Le feu ne les a point touchées.

Déjà le soleil fond la neige ; la prairie beige apparaît par grandes taches. Oies et canards surviennent. La Saskatchewan enfle ses eaux ; la glace soulevée n’atteint plus les rivages. Enfin, un soir, avec un sourd craquement, elle s’ébranle, emportée par la débâcle. Poussés par une immense force, les glaçons passent.

Montour donne l’ordre d’embarquer la cargaison de retour. Plus de six cents sacs de pemmican s’entassent sur les bacs. Dans les canots, on transporte les ballots de fourrures.

Aussitôt les glaces écoulées, la brigade du fort Augustus apparaît. Pas de perte de temps. Attachées les unes aux autres, les embarcations entrent dans le courant qui les saisit et les emporte. C’est le soir. Pas de pagaies, ni de rames. Tour à tour en plein clair de lune ou dans l’ombre des berges,

[ 159 ]