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offert des gages d’un tiers plus élevé à des gaillards tels que toi, pour le plaisir de gaspiller leur argent ?… À moi aussi, ils demandaient une signature par-devant notaire. J’ai vu le Grand Portage, le lac à la Pluie : cela m’a toujours suffi.

— Les Petits vont danser l’hiver prochain.

— Oui, ils ne s’amuseront pas. Les gendarmes ne crèvent pas les yeux dans les yeux dans les Pays d’En-Haut. Compagnie du Nord-Ouest et XY vont régler leur querelle… Console-toi ; tu t’es enrôlé parmi les plus forts.

— Mais si Alexander Mackenzie revient d’Angleterre, s’il se met à la tête des XY, comme on le disait ? Les Petits deviendraient dangereux alors ?

— Mackenzie ?… Nous avons le Marquis, nous ; nous avons l’Empereur, le Premier : Simon McTavish. Tu ne l’as jamais vu, toi ?

— Non.

— Tu le verras, et tu comprendras bien des choses.


— Tiens, Nicolas Montour qui vient nous rendre sa visite.

— Celui-là, je le tiendrais bien à longueur de gaffe, répond Turenne.

Nicolas Montour s’approche en flânant ; il s’arrête à chaque feu pour dire quelques mots aux bateliers qui sèchent leurs vêtements et se réchauffent auprès des flammes.

— Comme il est poli, poursuit encore Turenne. Où veut-il en venir avec ses salamalecs ?

Montour lance un « bonsoir la compagnie » qui se perd à demi dans le vent et il émerge de l’ombre. À côté de Bombardier, gros et grand, de Turenne, fortement membré et musclé, Montour, gros et court, forme contraste. De la tête pointue jusqu’à la rotondité de la ceinture, le corps enfle progressivement comme celui d’un pitre ; il se dégonfle ensuite jusqu’à des jambes boudinées. De grosses lèvres, des yeux pâles, un peu livides, animent les traits grossiers. Et une huile suppure par les pores de la chair malsaine et blême.

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