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comme de l’eau, des étoiles brillent là-haut dans le firmament bleu noir. Et partout s’étend un silence complet, un silence de planète saisie par le froid, gelée jusqu’en son centre, toute vie détruite.

Enfin, après des nuits et des jours, Turenne trouve des pistes plus fraîches qui le conduisent sans hâte aux yourtes de cuir sans cesse déplacées. Des Indiens accourent au-devant de lui, leur morne figure un peu adoucie ; des enfants se blottissent dans ses bras.

Il entre dans les loges gonflées de fumée et d’odeurs nauséabondes. Assis sur les branches de sapin, il regarde autour de lui. Une vaste pitié adoucit son cœur devant tant de misères, d’inconvénients, de privations. Il aime ces peuplades misérables dont l’existence est si dure ; il s’entretient avec eux, il leur donne les conseils qui ne trompent point.

Et plus psychologues que les savants, les naturels devinent cette bonté, cette douceur, cette commisération qui hantent le cœur du Blanc ; jamais un brin de défiance à son égard. Et les pelleteries, ils les entassent dans ses bras à son départ, ils les lui donnent, ils l’en chargent, lui qui, maintenant, les prend en haine si souvent.

Lourd de sa peine, Louison Turenne revient vers le fort. À ces tribus, les Blancs n’ont apporté qu’un surcroît de maladies, qu’un contingent de vices, l’ivrognerie surtout qui les décime. Des épidémies jettent bas maintenant de grands pans de population. Puis des voyageurs épousent des sauvagesses ; après avoir vécu avec elles pendant dix ou quinze ans, ils partent pour le Bas-Canada, laissant autour des forts des femmes déshabituées de l’existence indienne, et des enfants.

Quelle abomination parfois que le travail de l’homme. Ces lourdes pensées humaines envahissent Turenne de leur détresse. Les individus, pense-t-il, ne sont pas tous frappés par le même aspect des choses : l’un ne voit que le profit, l’autre manque de sensibilité, un troisième ne songe qu’à devenir bourgeoys et à jouir de l’existence ; et les idées de chacun, en face des mêmes spectacles, sont tellement différentes qu’il semble que

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