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mais arrogants, excités, impatients, ils effraient les commis qui se demandent toujours à quelle minute le marchandage se terminera en larcin, la mendicité en pillage, l’humilité en révolte.

— Il m’a volé mon fusil, il m’a volé mon fusil ! crie soudain l’un des engagés.

Et l’altercation habituelle éclate. En une seconde, les sauvages tiennent en joue leur canardière ou leur arc ; des cris partent d’un groupe où se heurtent déjà des corps puissants ; Rouges et Blancs se divisent en deux troupes pour un combat.

Que faire au milieu de ce tumulte et de ces clameurs ? Montour est désemparé. Il éprouve l’impression violente de se trouver devant un mécanisme dont il ignore le secret. Sur quel ressort peser ?

Pris de panique, il donne l’ordre d’allumer le pierrier de l’un des bastions et il s’épuise à rassembler et à armer ses hommes.

Mais soudain, Turenne fend la foule ; il parcourt l’espace qui s’élargit entre les deux troupes. Sans crainte, il s’approche du coupable. Fermement, mais avec douceur, il saisit le fusil en dispute, l’examine, regarde fixement le Pied-Noir. Celui-ci le laisse aller. Tous se sont tus, ramenés au sang-froid brusquement, par le sang-froid, le courage et la tranquillité de cet engagé.

Montour se souvient maintenant : Louison Turenne a toujours su manœuvrer les naturels ; c’est un don. Alors, il le met de l’avant pendant les quelques jours que dure l’affluence des Pieds-Noirs, des Assiniboines, des Gens du Sang et des Cris ; il en fait une espèce de gardien qui se promène et surveille. À trois ou quatre reprises, les relations se gâtent : des flèches blessent une couple de voyageurs, l’un des commis est à moitié assommé d’un coup de crosse de fusil. Chaque fois, Turenne réussit à pacifier ces hôtes turbulents : sa patience, son doigté unis à la sagesse des vieux guerriers sauvages, apaisent les colères et calment les ardeurs belliqueuses.

Nicolas Montour doit bientôt se rendre à l’évidence. Devant lui, il n’a plus les tribus de l’extrême nord, craintives, hystéri-

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