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Par milliers, les bisons arrivent, tête basse, cornes effilées et courtes, poitrail large, crinière au vent. Toute leur force réside dans leur énorme avant-train : ils sont construits pour l’attaque. Beuglant, farouches, ils foncent droit dans la rivière pour la traverser à la nage. Une fusillade bien nourrie éclate. Des bêtes tombent, mais d’autres arrivent toujours, emplissant l’air de leurs beuglements.

Et le soir, auprès des feux, les quartiers saignants rôtissent à la broche avec les deux pièces de choix : la langue et la bosse.

Le bourgeoys et Montour continuent au matin leur randonnée. Ils poursuivent des chevreuils, des wapitis gros comme des chevaux, des ours grivelés qui mangent des baies dans les fourrés, et les regardent, énormes et maladroits.

Après leur voyage de deux mois, un soir, ils arrivent sans encombre au fort Vermillon. Et, alors, en face des plaines, ce sont de brutales réjouissances.

La veille, quatre canots sous le commandement du bourgeoys, sont partis pour la Saskatchewan supérieure. Nicolas Montour est resté seul en charge au fort Vermillon. Chef suprême et sans contrôle, enfin. Toute la nuit, une idée l’a hanté : renouveler son exploit du fort Providence, gravir d’un second bond l’échelle du succès. Conscient de la force et de la souplesse de ses facultés, il n’éprouve maintenant aucun doute sur lui-même ; comme un orateur qui a senti la foule dominée par sa parole, comme un peintre qui a vu éclore sous son pinceau un tableau de premier ordre, il n’aspire plus, optimiste et confiant, qu’à manifester à nouveau le talent exceptionnel dont il est doué.

Debout à quatre heures du matin, il se promène dans le domaine où il est roi, et il l’examine. De l’autre côté de la Saskatchewan, en face, à peine visible, dans l’ombre, s’élargit l’embouchure de la rivière Vermillon qui circule dans les plaines d’herbe où l’on peut, comme dans une ample étoffe, tailler des provinces ; en arrière, sept ou huit chantiers bas, — résidences du personnel, maison des Indiens, entrepôts, atelier,

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