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sa volonté, les hommes vont, tremblants, le dos courbé, le froid glissé jusqu’aux moelles, aveugles, souffrant dans tous leurs membres.

Pendant des heures et des heures, l’âpre lutte dure. Puis l’apaisement se fait, par degrés, et le soleil brille de nouveau dans le ciel. Des doigts de pieds et de mains sont gelés : de rudes frictions et la circulation du sang se rétablit. Du thé chaud, des aliments, quelques heures de repos, et les voyageurs reprennent leur marche.

Quatre jours se sont écoulés, et les voyageurs n’ont pas atteint le fort de l’Orignal. Ont-ils trop dirigé leurs pas vers la droite ou la gauche ? Dans cette autre journée de lumière éclatante, ils tentent de s’orienter. Et des mirages se lèvent sous leurs yeux anxieux. Miraculeusement élevés dans le ciel, les tronçons de ce rivage vers lequel ils courent, des parties de forêt, des falaises apparaissent sens dessus dessous, non plus dans leur immobilité séculaire, mais sans cesse mouvants et changeants.

— Mon bourgeoys, mon bourgeoys, nous sommes perdus dans ce sacré pays maudit, disent les hommes.

Montour ressent tous les symptômes de l’égarement. Pour chasser son vertige, reprendre son sang-froid, il s’enveloppe la tête d’une couverture. Puis, l’esprit libre, il sonde l’horizon. Là-bas, ce point noir, à peine perceptible, est-ce le fort ?

Oui. Ils y courent. Mais ils ne s’y arrêtent pas longtemps. Quelques jours de repos, et ils remontent la large rivière des Esclaves. La nuit, maintenant, ils peuvent allumer de grands feux de sapins.

Enfin, le fort Chipewyan, qui se confond de loin avec la forêt, se dresse sur leur route.

Le Bancroche sourit en voyant arriver Nicolas Montour.

— Et alors, Lenfesté et toi, vous n’avez pu passer tout l’hiver ensemble ?

— Non, mon bourgeoys.

— Tout va bien là-bas ?

Dans l’obscurité du cabinet, assis sur les grossiers sièges de

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