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parlé aussi ; et Prudent Malaterre a-t-il été fidèle au secret ?

Lenfesté ne peut soutenir le choc. Il constate soudain la force et l’habileté de Nicolas Montour. Sa propre situation est intenable et pleine de dangers. Sans transition, la servilité se substitue à l’arrogance. Il supplie, il craint maintenant cet homme encore hier poli, déférent, obséquieux même, et qui, tout à coup, redresse la tête et ne cédera pas.

La permission de partir obtenue, Nicolas Montour redevient lui-même. Il ordonne tout. Les grosses réserves de poisson suffiront amplement aux rations des engagés des deux compagnies. Puis, voici les livres des Petits : Lenfesté n’aura qu’à percevoir les remboursements en pelleteries ; et voici un état de leurs marchandises en magasin et des fourrures qu’ils ont récoltées jusqu’à ce jour. Tout est clair. Il faudra conserver ces documents avec soin : ils peuvent être précieux en cas de procès, à Montréal… Enfin, Louison Turenne, si tout va bien, doit arriver au fort dans six ou sept jours ; s’il n’apparaît pas dans ce délai, il faudra envoyer immédiatement une expédition de secours…

Et Nicolas Montour se met en marche sur le Grand lac des Esclaves. Louis Cayen et deux engagés l’accompagnent… Lenfesté, du haut de la berge, engoncé dans ses pelisses, agite la main au-dessus de la tête en guise d’adieu amical.

Les quatre hommes précédés d’une attelage de chiens s’élancent sur le lac. Celui-ci présente à la vue une immense vallée blanche, non pas unie, mais ondulée de longues vagues à peine perceptibles. Par cette journée de froid sec et clair, la glace se dilate : des craquements accourent du fond de l’horizon, passent en zigzags sous les pieds avec des éclatements de tonnerre, s’en vont mourir sourdement dans le lointain en laissant derrière eux de larges fissures. Puis, plus rien ne bouge, c’est l’infini silence gelé. Seules, les petites ombres noires des voyageurs se déplacent dans la blancheur complète du monde, sous le firmament bleu.

Ils dorment dans la neige. Une seconde journée éclatante se lève. La rive n’est plus qu’une mince ligne noire au ras du

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