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de nous et des XY plus de crédits qu’ils ne peuvent en rembourser en deux ans ; et nous restons seuls maintenant, et nous pouvons remettre les fourrures à leur ancien prix ; enfin les marchandises que nous trouverons dans le fort des Petits nous appartiennent. D’ici l’automne, vous n’avez besoin de rien. Il ne faut pas oublier non plus que le bourgeoys avait donné l’ordre de ne laisser à aucun prix les Petits emporter des fourrures en dehors du district de Rabaska.

Nicolas Montour n’a aucune crainte à cet égard. Il connaît mieux que Lenfesté encore les dispositions du Bancroche : la dépense comptera peu pour lui en regard des résultats obtenus. Du strict point de vue commercial d’ailleurs, il n’a rien gaspillé : une forte concurrence est disparue, et les crédits des Petits, c’est à la Compagnie du Nord-Ouest qu’ils seront remboursés en fourrures.

— Oui… C’est bien… J’enverrai mon rapport à la Compagnie… Vous avez pris soin des écrits que Louis Cayen a signés ?… Où sont-ils ?

— Je les remettrai au bourgeoys moi-même.

Cette audace désarçonne Lenfesté. Estomaqué, aussi surpris qu’insulté, il bafouille de colère. Montour garde son calme. Il a décidé de partir tout de suite du fort Providence, Louis Cayen sous sa garde, de se rendre au fort Chipewyan où il livrera au bourgeoys lui-même ses écrits et son prisonnier.

De nouveau, il prend la parole avec patience. Les sourcils froncés, les yeux sur la flamme, il explique à mots couverts qu’il est disposé à passer sous silence l’heure d’ivresse qui a failli coûter à la Compagnie de telles pertes ; il couvrira même Lenfesté d’éloges et lui abandonnera sa part légitime du triomphe… s’il peut partir immédiatement avec les papiers… Autrement…

Lenfesté se calme sous l’effet de la menace précise ; mais celle-ci ne lui paraît pas assez dangereuse pour le décider.

Sur la figure de son interlocuteur, Montour suit le conflit intérieur. Lucide, il tente de deviner l’impression, la pensée inexprimée, l’idée qui font échec à son projet dans l’esprit de

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