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— On a volé dans le magasin, on a volé dans le magasin…

Tous se précipitent dehors. Des pieux ont été arrachés, une traînée de poissons s’allonge sur la neige, des pistes s’éloignent dans diverses directions. Au milieu de l’excitation, on examine les dégâts, on émet des suppositions.

Une fois Lenfesté dehors, Nicolas Montour ne fait qu’un bond : il se précipite dans le cabinet du bourgeoys. Il lit ou plutôt il parcourt le rapport abandonné sur la table. Les lignes dansent sous ses yeux. D’un paragraphe à l’autre, il saisit des phrases : « J’ai commandé à Montour… Il a rencontré Louis Cayen dans les bois et lui a parlé longuement… A-t-il pris des mesures avec lui pour le laisser échapper ?… Je le tiens sous surveillance… Il manquait d’expérience… Incapable de le suivre, il m’a fallu constater que les trois quarts des marchandises avaient été ainsi gaspillées… »

Avec habileté, Lenfesté exploite contre son jeune associé des fautes secondaires, des avis qui n’étaient pas tout à fait au point, les échecs partiels de certaines tactiques. Il ne lui a rien enseigné afin de pouvoir ensuite lui reprocher des erreurs d’inexpérience et le laisser apprendre son métier à force de fautes ; il ne l’a mis en garde contre aucun danger.

Mais le point principal du rapport, Montour le comprend, c’est cette possibilité d’une évasion de Louis Cayen dont on tente de rejeter d’avance sur lui la responsabilité.

Un coup de sifflet… Montour rejette le rapport sur la table. Il fuit au dehors, dans l’air clair et froid. Très haut, la brume se condense en cristaux et tombe en larges paillettes de givre.

Montour se souvient d’un combat dont il a lu autrefois la description. Un tigre rencontre un boa : il le saisit à pleine gueule et le triture de ses dents puissantes ; mais pendant qu’il mâchonne sans résultat, les anneaux du serpent s’enroulent autour de son corps, deux, trois fois, et serrent de plus en plus fort, dangereusement ; à moitié broyé, le tigre doit lâcher prise ; il respire péniblement, avec effort, il recueille ses forces ; soudain, d’un dernier sursaut, il s’élance, détruit l’étreinte et se sauve en nage.

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