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approchent les chefs de bandes. Quelques cadeaux bien choisis, et ceux-ci conduisent les tribus plus avant dans l’intérieur du continent. Bientôt, elles sont hors de portée ou à une distance telle qu’il faut abandonner la dérouine.

Vers le milieu de février, Montour voit la victoire poindre. Ses tactiques ont créé l’isolement absolu autour du fort rival, elles l’ont encerclé dans une zone de vide et de stérilité qu’aucun secours ne peut plus franchir.

Alors le traiteur redouble de prudence et de vigilance ; le dénouement ne saurait plus tarder. C’est lorsque la victime est serrée de plus près qu’elle est la plus dangereuse. Aux sentinelles de la guérite, il donne de sévères consignes ; il les change souvent, et se met lui-même de faction. Pendant des heures, il contemple sous lui le fort rival, grossière bâtisse d’une ridicule petitesse dans cette blancheur glacée. Comme un chasseur à l’affût, il attend.

Et c’est alors que d’autres soucis que ceux de cette lutte distraient Montour. À l’automne, à son retour du premier voyage chez les Indiens, Philippe Lelâcheur l’avait averti : un messager était parti de nuit, avec les dépêches, pour le Fort Chipewyan. Plus tard, Guillaume d’Eau l’avait mis sur ses gardes : Lenfesté avait recommencé de voir Prudent Malaterre en secret.

Sans que l’on sache au juste comment ni pourquoi, Lenfesté a reconquis et repris en main ses hommes ; et la zizanie a éclaté entre le personnel spécial que Montour a amené et le personnel régulier du fort.

Nicolas Montour veille au grain. Une fois, c’est lui, une autre fois c’est Philippe Lelâcheur qui entre à l’improviste, aussitôt après avoir frappé, dans la chambre du bourgeoys ; celui-ci écrit et relève la tête avec un grain de confusion.

Montour veut en avoir le cœur net. Un matin, vers six heures, alors que Lenfesté écrit encore dans son cabinet, José Paul revient au chantier en criant :

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