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IROQUOISIE

autres sont conduits aux Trois-Rivières. Sagard décrit longuement, d’après les souvenirs de Frère Gervais, l’arrivée et le séjour de ces victimes. Ils ont déjà les ongles arrachés, ils ont subi des brûlures avec des cendres chaudes et la bastonnade. Maintenant, les prisonniers chantent pendant que les Algonquins dansent. Frère Gervais demande leur libération. Les Indiens répondent « qu’il n’y avait ni paix ni trêve entr’eux et les Iroquois, mais une guerre continuelle… » Ils ont décidé de les mettre à mort, mais plus tard, à la grande traite de Cap du Massacre, et devant toutes les tribus réunies. Et ils s’embarquent à cet effet quelques jours plus tard.

Ces Algonquins veulent ainsi forcer la main à la coalition laurentienne, à Champlain lui-même. Comme le dit l’annotateur du Mémoire de Perrot. « l’indépendance chez les sauvages de la Nouvelle-France était absolue en principe. Elle ne reconnaissait à aucune autorité le droit de lui assigner des limites. Chaque nation, et dans chaque nation, chaque bourgade, et dans chaque bourgade, chaque famille, et dans chaque famille, chaque individu, se considérait comme libre d’agir à sa guise, sans avoir jamais de compte à rendre à personne… Un assassinat était-il commis, une paix solennellement jurée avec une autre peuplade était-elle violée par le caprice d’un seul individu : il ne fallait pas songer à punir directement le coupable… »[1]

Les Français tentent donc de replâtrer cette paix déjà compromise. Émery de Caën s’y évertue : il remontre aux Algonquins leur peu de foi, leur manquement à la parole donnée. En désespoir de cause, il représente par écrit à Champlain l’urgence de venir lui-même. C’est le 14 juillet que celui-ci saute dans un canot, en compagnie de Mahigan-Aticq. Et quand il descend sur la plage à l’embouchure du Richelieu, il apprend que le Réconcilié a coupé les cordages qui liaient les prisonniers, disant qu’avant de les mettre à mort, il fallait obtenir l’opinion de Champlain et d’un conseil général des tribus. Après avoir écouté Émery de Caën, qui lui communique les dernières

  1. Perrot, Mémoire sur les mœurs, coutumes et religion des sauvages de l’Amérique septentrionale, p. 210, Note 13.