Page:Desrosiers - Iroquoisie, tome 1 (1534-1646), 1947.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
IROQUOISIE

mort ; ils lui arrachent le cœur pour le donner en pâture à leurs enfants.

Voilà le récit que les missionnaires écoutent à leur arrivée dans la Nouvelle-France. Le ministre luthérien a voulu adresser des reproches au geôlier algonquin responsable de cette affaire. Celui-ci a rétorqué que ce sont les Anglais eux-mêmes qui devaient porter la responsabilité : c’est eux qui lui avaient donné l’eau-de-vie qui a égaré sa raison. Et le père Le Jeune débride pour la première fois une seconde plaie, qui après celle des famines, sapera la vitalité de la coalition laurentienne : l’alcoolisme. Pendant la courte occupation anglaise, les liqueurs fortes sont devenues article d’échange pour les précieuses pelleteries. Algonquins et Montagnais ont commencé à s’enivrer. Ils désirent l’eau-de-vie avec une frénésie impossible à réprimer ; pour en obtenir quelques gouttes, ils peuvent sacrifier les plus belles fourrures. Faute d’entraînement, ils tombent tout de suite dans l’ivresse la plus grossière, la plus brutale, la plus bruyante qu’il soit possible de trouver. Les femmes mêmes, les enfants sont bientôt gris. Ce sont des orgies démoniaques fertiles en adultères, incestes, blessures, meurtres, impudeurs infernales. « Depuis que je suis ici, écrit le père Le Jeune, je n’ai vu que des sauvages ivres ; on les entend crier et tempêter jour et nuit, ils se battent et se blessent les uns les autres… »[1] Il ajoute encore : « … Passé huit heures du matin il ne fait pas bon les aller voir sans armes, quand ils ont du vin ». Mais une fois dégrisés, ils supplient les Français de ne plus leur donner de liqueurs alcooliques.

Tout espoir de paix est perdu. Les Algonquins sont de nouveau en proie aux anciennes alarmes. Émery de Caën voudrait qu’ils lui fournissent un messager qui se rendrait chez les Hurons pour les avertir du retour des Français. Cette tribu n’est guère venue à la traite depuis trois ans, il faudrait la ramener. Mais aucun Indien ne veut se risquer sur le fleuve. Tous savent que les Iroquois — les Agniers tout probablement, comme tout probablement

  1. RDJ, 1632-10.