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dans le nid d’aiglons, la colombe

Cet écrit indique que la réclusion avait dépouillé quelques-uns de ses caractères macabres. Des maçons ne viennent pas murer la porte. M. Dollier n’apposera pas un sceau sur la serrure. Jeanne ne sera pas une « empierrée », comme on disait en Belgique. Des secours pourront l’atteindre en cas de maladie ou de détresse extrême. Elle ne mourra pas dans une solitude totale. On ne lui donne pas l’Extrême-Onction d’avance. On ne chante pas le Libera sur elle comme sur une morte. Pas de prise d’habit solennelle. Sous l’influence de maîtres de la vie érémitique, de saint Rodolphe, par exemple, et du bienheureux Paul Giustianini, on a, en partie, abandonné ces coutumes et ces rites anciens qui révélaient un excès. Une tradition adoucissante a prévalu. La substance demeure dans toute son austérité. Et l’on constate une survivance du cérémonial d’autrefois dans l’inscription que Jeanne inscrivit sur sa porte et qui n’était qu’une traduction des derniers mots que l’on psalmodiait sur la recluse disparaissant au monde : « Haec requies mea in seculum séculi, hic habitabo quoniam elegi eam ».

Bref, ce confinement de Jeanne Le Ber ressemblera plus aux claustrations rares d’aujourd’hui, celles des Camaldules, qu’à celles des reclus et recluses des premiers temps du christianisme et du Moyen-Âge. Toutes modernes qu’elles sont, elles demeurent d’une difficulté inouïe. Toujours la solitude dans sa crudité. La continuité du silence. C’est une vocation d’exception. Jeanne Le Ber a maintenant trente-trois ans et son emprisonnement volontaire dure depuis quinze ans.

Le lendemain, 6 août, fête de la Transfiguration, M. Dollier de Casson bénit la chapelle elle-même. Après, « on célébra la grande Messe, ce qu’on accompagne de toute la simphonie dont le Canada pouvoit être capable ou il y eust grand Monde ».