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le premier reclusoir

déposer dans son assiette pour la gâter un peu, les beaux fruits, les primeurs. Elle réclame les croûtes de pain moisies dont les domestiques ne veulent même pas. On dit qu’elle commença à prier la nuit, regardant par la fenêtre la lampe de sanctuaire de l’Hôtel-Dieu.

Il y a ici l’affleurement d’un charisme qui avait mûri tout doucement dans l’ombre, et qui se lance à bas du nid et ouvre ses jeunes ailes. S’il en est un que l’on ne peut simuler, embrasser sous de faux prétextes, en se leurrant, c’est celui-là. Les lubies, les caprices, ceux des parents ne résistent pas à la brutalité de la réclusion. Dieu parle déjà au cœur de Jeanne et elle court, éperdue.

Ce faisant, elle manifeste l’une des plus fortes personnalités du temps. Elle a un moi robuste, solide. Rien de douceâtre en elle. M. Séguenot la retient plutôt qu’il ne l’excite. Son premier historien nous a peint d’elle sur ce point, un portrait délicieux, digne de traverser les siècles.

« …Le silence exact de Mademoiselle Le Ber est d’autant plus admirable, dira-t-il, qu’ayant beaucoup d’esprit, de vivacité, de facilité à s’exprimer, lorsque le sujet dans ses rares visites tombait sur quelque matière spirituelle, on était obligé à tout moment de luy dire : « Tout dousement » tant étoit grande l’abondance, la ferveur, la rapidité et l’onction avec Laquelle elle parloit ; sur quoy se jettant à genoux, elle disoit : « je vous demande pardon, mon père, vous faites bien de m’avertir de mon indiscrétion » ; et demeuroit ainsy humblement en silence jusqua ce qu’on luy repermit de parler ; mais bientôt après, le torrent de la conviction des vertus Évangéliques dont son âme étoit remplie, se débondoit