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dans le nid d’aiglons, la colombe

familière avec le sujet. Qui lui en aura parlé ? Jeanne Mance aura confié des souvenirs qui l’avaient frappée à sa filleule, sa voisine ? ou ma sœur Macé ? ou Marie Le Ber ? ou ses parents eux-mêmes ? Faut-il attribuer au seul M. Séguenot, le Sulpicien qui la dirigea, la connaissance qu’elle eut sur cette matière ? Mais M. Séguenot survient quand sa vocation s’est déjà esquissée.

Vocation ou charisme d’une rareté extraordinaire aujourd’hui. Seules quelques communautés, Camaldules, Chartreux, ou quelques Dominicains nous l’offrent dans sa rigueur antique. Charles de Foucauld en était animé.

Le Sulpicien à qui s’ouvrit cette jeune fille de dix-huit ans, Jeanne Le Ber, dut être bien décontenancé. Il fallut appeler M. Séguenot, alors curé d’une paroisse de colonisation, la Pointe-aux-Trembles, qui, seul, connaissait le sujet. Il fut certainement consterné. Pourquoi ? Parce que Jeanne était laïque et n’avait pas le moindre entraînement à la vie qu’elle voulait mener ; parce qu’elle était jeune ensuite et n’avait donné aucune preuve de ses aptitudes à la contemplation et des vertus qu’il fallait pour ce détachement complet du monde, cet arrachement au siècle. On avait assez d’expérience alors pour savoir qu’avec ces deux conditions, on courait presque sûrement à un désastre. Jeanne Le Ber dut livrer bataille non seulement avec les Sulpiciens, mais encore avec ses parents, avant d’obtenir gain de cause. Heureusement, elle parlait bien, sous l’abondance des sentiments de son cœur ; et elle avait à cet âge une forte personnalité. Autrement elle eût échoué. Car la réclusion, telle qu’elle la concevait, est une chose terrible et qui fait reculer même les plus fervents et les plus dévots, s’ils n’ont pas le charisme, tant elle contrebat avec brutalité, le fond même de la nature