Page:Desrosiers - Commencements, 1939.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
l’étude des langues indiennes

Après le départ des navires pour la France, le 18 octobre 1633, le père Le Jeune s’accointe donc avec un chef montagnais. Dès le début, il pose les conditions de son voyage : il accepte la présence, dans la tribu, de l’indien nommé l’Apostat, mais non celle du Sorcier ; le premier lui donnera des leçons de langue. Puis la bande passera l’hiver sur la rive nord du Saint-Laurent. Comme il fallait s’y attendre, aucune condition n’est remplie par la suite : l’Apostat n’enseignera rien qui vaille au missionnaire ; le Sorcier, toujours présent, entravera tous ses travaux d’évangélisation, et la tribu hivernera sur la rive sud.

Avant de partir, le missionnaire acquitte le prix de son passage : une barrique de galettes, un sac de farine, des épis de blé d’Inde, des pruneaux et des « naveaux ». Monsieur de Champlain veut donner à ces sauvages une haute idée du personnage qui les suit, et il leur recommande expressément lui-même de veiller sur leur hôte.

Et alors, vogue la galère ! Entassés dans une chaloupe et dans un canot, les nomades enfoncent leurs pagaies dans les eaux du fleuve. La première nuit, ils couchent à l’Île des Sauvages, plus bas que l’île d’Orléans. Et l’Apostat soulève immédiatement le plus beau des chahuts : il s’empare d’un barillet de vin que le missionnaire a emporté pour distribuer lui-même à ses compagnons en cas de nécessité ; il s’enivre, tombe dans l’eau d’où on le retire avec peine ; dans sa fureur, il brise et renverse le wigwam en construction, envoie promener crémaillère et chaudron. Irrité, son frère l’arrose copieusement d’eau presque bouillante mais sans réussir à le calmer. Découragé de ces batailles qui ne finissent point, le missionnaire désireux de tranquillité s’en va se coucher dans les bois en son « premier gîte à l’enseigne de la Lune », c’est-à-dire sans abri sur la tête et à même la terre froide d’automne. Le lendemain, afin d’éviter la répétition de scènes semblables, il tente de vider dans l’eau le reste du vin, mais les sauvages le sup-