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Ce soir-là était d’une douceur exquise. Longtemps dans la nuit, nous restâmes en face du lac dont nous entendions les clapotis sur les piliers de la maison. Le vent humide des forêts vierges nous arrivait par grandes bouffées alenties. Et, accoudés à la balustrade, nous nous penchions pour béer à ce vide obscur et sentir nous envelopper la fraîcheur de cet amphithéâtre secret de notre pays.

Annette et Pierre causaient ensemble en arrière de nous. Ils semblaient avoir beaucoup de choses à se dire, comme des fiancés qui se retrouvent après une longue absence avec des arrérages de confidences. Une lueur nouvelle se lisait en leurs regards qui s’interrogeaient timidement et n’osaient se fixer. Ils se sentaient glisser sur la pente d’une affection commune, mais on aurait dit que l’accord entre eux se développait trop vite pour qu’ils pussent le réaliser à mesure ; qu’ils craignaient d’aller tout de suite au point où il les menait ou bien que leur amour naissant s’épanouissait si rapidement au fond d’eux-mêmes que leur conscience ne suffisait plus à enregistrer ses progrès et à le constater, prise d’un vertige inconscient mais aussi d’un désir vague et puissant.