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piffrait de ce bon pain de boulanger trempé dans la mélasse qui faisait les délices de nos ancêtres. La fumée des pipes estompait la lumière douce des lampes.

Vers une heure, deux heures du matin, les hôtes partaient, titubants, colériques, abominablement gris, en se lançant des injures ou des quolibets. Plus d’un se trouvait incapable de remettre son cheval dans les brancards et même de se rendre à sa voiture. Lorsqu’il avait facilité et surveillé tous les départs, mon bisaïeul, qui avait bu comme dix hommes, remontait à sa chambre d’un pas automatique et roide, sans broncher d’une semelle, l’attitude rigide et la démarche posée.

Fécite, durant ces ripailles et ces orgies, priait Dieu et tous ses saints, prise d’une épouvante sacrée devant les abominations qui se commettaient dans la maison. Elle accumulait les jeûnes, les neuvaines, les communions et les pénitences pour éloigner la malédiction divine. Et le matin, lorsqu’elle balayait les restes de tabac et les cendres de pipe, dans la salle à l’atmosphère affadie par la fumée, elle avait des colères subites, des audaces terribles et sacrées, des révoltes de dégoût qui la faisaient se lever en face de son maître pour lui reprocher sa faute et les péchés qu’il