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damment sur toute notre famille, vaste clan aux ramifications étendues qui couvraient la province.

Des malheurs ensuite l’attachèrent plus fortement. Mon bisaïeul Louis, important et riche dans la paroisse, devint le « cabaleur » de l’un des partis, au cours d’une élection fédérale. Son cheval attelé à un cabriolet crotté détalait du matin au soir sur toutes les routes du comté. C’était alors un fort bel homme de quarante ans, au visage gras et blanc encadré de cheveux, d’une barbiche et d’une moustache crépelés et noirs. Il plaisait aux hommes par sa grosse jovialité, aux femmes par une galanterie inoffensive de joli garçon, aux enfants par sa familiarité avenante.

Puis aussitôt tombées les claires nuits fraîches d’automne, les réunions animées et bruyantes commençaient dans le salon. Au milieu du choc des verres, des conversations à tue-tête, des discours pompeux et simplistes et des rires sonores et gras, on entendait la voix de basse du maître de la maison tonnant ses « Sata-Michette » et ses « Sata-Michon », les deux jurons dont il appuyait ses phrases comme de deux béquilles. Le rhum, la bière y passaient par tonneaux et l’on s’em-