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Fécite



Jamais une vie ne fut plus pure devant Dieu que celle de Fécite, une humble servante de notre famille. Moi-même je ne l’ai connue que lorsqu’elle était vieille et courbée, ridée comme un raisin sec, qu’elle pouvait à peine se lever et circuler dans la maison. Mais je n’ai qu’à y penser pour entendre encore sa voix fêlée et claire chanter en chevrotant pour me bercer ou m’endormir. Le reste, je l’ai appris de mon père et de ma mère qui auraient pu se mettre à genoux devant elle et la prier comme une sainte.

Mon bisaïeul Louis l’avait eue le premier à son service. Il vivait alors sur une manière de vaste seigneurie, à l’entrée du lac Saint-Pierre, au bord du Saint-Laurent. Les branches du fleuve large enserraient d’un réseau de lamelles d’argent les îles basses, plates, lourdes d’une végétation humide et grasse. Les aulnes, l’herbe à lien droite et fine comme une baguette, les liards énormes aux feuilles tremblantes, les saules qui forment des boules de feuillage gris-pâle et finement découpé, croissaient sur les rivages, au milieu des her-