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peintre avant d’entrer au cénacle. Us se sont sentis attirés par le pinceau, avant d’être retenus par la plume. Ilsapportent dans lalittérature leur première éducation technique. Et ce n’est plus d’un instinct, mais d’un choix libre et raisonné que naît l’impressionnisme dans le style.

Théophile Gautier se contente de la palette renouvelée par Hugo. Il connaît à fond la gamme des tons. Aucun terme de la langue ne lui échappe, et c’est par la précision des mots, par leur arrangement habile, par le souci du moindre détail qu’il évoque le monde matériel. « Voulez-vous voir Gonstantinople ? écrivait Saint-Arnaud à sa femme au début de l’expédition de Grimée ; ouvrez Théophile Gautier. » Par exemple, pour ce peintre qui n’a guère que des sensations, le monde psychologique existe très peu. Dans ses livres, le descriptif triomphe, un descriptif superbe, mais froid, où l’on ne sent pas la nerveuse vibration moderne. Au-delà de Théophile Gautier, les Goncourt. On a prétendu qu’ils avaient formé leur prose au long contact du xvm e siècle et qu’ils ne devaient rien aux artistes du nôtre. Erreur. Watteau et Boucher ont pu léguer quelques mièvreries, des « faisanderies » [1] de style à leurs admirateurs. Mais s’ils connaissent admirablement les peintres de cette époque d’élection, les Goncourt connaissent beaucoup moins ses hommes de lettres. Sainte-Beuve l’a senti et constaté. Ce n’est ni de Jean-Jacques, ni de Voltaire, ni de Diderot que dérivent les deux frères, c’est de Théophile Gautier. De Théophile Gautier, comme Flaubert. Seulement, tandis que Flaubert se satisfait à force de précision, est une sorte de classique, à la phrase solide et marmoréenne,

  1. Mot de M. Paul Bourget