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halètement de la vapeur, le progrès, « cette plaisanterie immense. » Le romancier n’avait certainement pas conscience de sa besogne. Il répétait aux néophytes que la perfection des phrases suffisait à la gloire d’un homme. Une première entrevue avec Flaubert était une désillusion.

Dans l’ordre politique l’auteur de Madame Bovary regrettait l’ancien régime, tonnait contre la situation des artistes sous la férule des bourgeois « ennemis nés de toute littérature. » À l’époque où il publia les Trois Contes, — printemps 77, — il se plaignit vertement du 16 mai ; tout ce tapage n’aurait qu’un résultat : arrêter le succès de son livre. Les préjugés se gagnent. M. Daudet et M. Zola gardent l’exclusivisme du maître, et l’un d’eux a hérité de son pessimisme.

« Flaubert, écrit M. Zola, est le négateur le plus large que nous avons eu dans notre littérature. » On retrouve en lui la triste sagesse du Cohélet, assis sous le figuier biblique, mâchant des mots amers, proclamant le néant de l’être, les vanités de l’amour et de la gloire. Et cependant ce romantique, pour lutter contre la fuite ironique des jours, se réfugie dans l’éternelle perfection de la forme : un beau livre est un monument de granit ; le génie jette en défi au flot insensible et rongeur des siècles l’indestructibilité d’une phrase. Songe lyrique ! Que de poèmes le temps n’a-t-il pas engloutis ! Pour nous, les lettres datent des recueils sacrés de l’Inde, de la Bible et d’Homère. Mais que d’autres grandes œuvres ont dû disparaître dans les soubresauts du monde. Dans des milliers et des milliers d’années, Madame Bovary, le plus beau roman du xixe siècle, déchiré par tous les vents, offrira peut-être aux curiosités d’alors des fragments incompréhensibles, de sens aussi