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Les balourdises fascinaient l’auteur de Madame Bovary. Lorsqu’il trouvait quelque chose de stupéfiant, il levait les bras au ciel en criant : « C’est énorme ! moi, je trouve ça énorme. » Dans son voyage d’Orient, il fut si heureux de rencontrer loin de France un Campistron composant des tragédies sur Abd-el-Kader qu’il passa des heures à les lui faire lire, soulignant avec enthousiasme les passages les plus réussis. Il entreprit avec Bouilhet une pièce en vers où tout serait dit par périphrases. On y désignait l’instrument de Molière par ce vers homérique :

Le tube tortueux d’où jaillit la santé.

Le second volume de Bouvard et Pécuchet devait se composer uniquement de citations prudhommesques extraites des contemporains. « J’ai, écrivait Flaubert à M. Maxime Du Camp, une quinzaine de phrases de toi qui sont d’une belle niaiserie. » Il conservait sous clef un recueil de poésies médicinales, et les récitait en riant aux larmes. Quelquefois aussi, il lisait à ses amis, — Bouilhet absent, — les vers inspirés par lui à Louise Colet. Il y était comparé à « un buffle indompté des forêts d’Amérique. » Ce goût du grotesque l’avait plongé jeune dans Pigault-Lebrun. Bouvard et Pécuchet a une pointe de Pigault.

Ces bonshommes, réunis par la conformité banale des sentiments et des pensées, associant leurs manies de vieux employés, rêvant de devenir des encyclopédies vivantes, se butant partout à l’absurde, entassant idiotismes sur maladresses, sont des mannequins plaisants qui disent : Papa et Maman. Sous les exagérations caricaturales, on voit les rouages qui font agir les personnages. — Flaubert prend ces médiocres pour cible ; il déchaîne contre eux toutes les férocités du hasard,