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il avait les préjugés des bourgeois contre lesquels il dé- clamait. Il convenait, lorsqu’on le poussait, qu’il était un bourgeois deprovince, le plus paisible, le plus rangé des bourgeois. Jamais il ne vit les misères d’un œil serein. 11 pous- sait jusqu’aux extrêmes sacrifices la religion de l’hon- neur familial. Dans ses derniers mois, il engagea pour les siens, engloutis dans un désastre commercial, sa petite fortune si nécessaire ; vieillissant, il se condamna aux privations. Il fallut la violence de ses amis pour lui faire accepter un emploi à la bibliothèque Mazarine, une pension déguisée. Ce farouche pessimiste qui conclut au néant et dé- chiqueté l’espérance à belles dents, était, dans la vie journalière, d’un optimisme absolu. M. Maxime Du Camp a publié une lettre de lui, écrite au début de la guerre de 1870, qui prouva jusqu’où allait son aveu- glement. Le patriotisme longtemps endormi, longtemps relégué par lui dans les banalités indignes d’un esprit littéraire, se reveilla, lors de nos désastres, en même temps que sa maladie nerveuse. Un jour « il avisa sur ma table, raconte M. Maxime Du Camp, le second volume des Conversations de Gœthe, il le saisit avec empressement, l’ouvrit, le feuilleta comme s’il y eût cherché une phrase restée dans sa mémoire et me dit : Ah ! que je voudrais être dans l’é- tat de cet olympien ! c’était un homme celui-là et ses nerfs obéissaient à son cerveau. Ecoute ceci : « La haine nationale est une haine particulière. C’est toujours dans les régions inférieures qu’elle est la plus éner- gique, la plus ardente, mais il y a une hauteur à la- quelle elle s’évanouit ; on est là, pour ainsi dire, au- dessus des nationalités et on ressent le bonheur ou le