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pour la sentir contre mon ca-ur ; et ma vie se retremperait dans sa jeunesse éternelle[1]. »

« Égypte ! Égypte ! tes grands dieux immobiles ont les épaules blanchies par la fiente des oiseaux, et le vent qui passe sur le désert roule la cendre de tes morts[2] ! »

Ou ce sont des élans philosophiques, d’une largeur éloquente.

« Contemple le soleil ! De ses bords s’échappent de hautes flammes lançant des étincelles, qui se dispersent pour devenir des mondes ; — et plus loin que la dernière, au delà de ces profondeurs où tu n’aperçois que la nuit, d’autres soleils tourbillonnent, derrière ceux-là d’autres, et encore d’autres, indéfiniment[3] »

Aussi, lorsque Flaubert chantait ces phrases musicales, ne concevait-il pas pourquoi ses amis manquaient d’enthousiasme. Il avait emprunté à Théophile Gautier ses paradoxes, et ne donnait pas à la littérature un autre but qu’elle-même. Le culte des sonorités lui faisait juger les maîtres passés d’étrange sorte. Il ne pardonnait à Molière quelques métaphores incohérentes qu’en faveur d’une phrase « sublime » du Bourgeois gentilhomme : « Ce sont des Égyptiens vêtus en Maures qui font des danses mêlées de chansons. » Ou, d’une voix claironnante, il lançait ce vers de Racine :


La fille de Minos et de Pasiphaë,


ajoutant, moitié railleur, moitié sérieux : Ça, c’est le plus beau vers de la langue française !

Excentrique dans la coupe de ses vêtements, il portait de vastes pantalons quadrillés, et plantait crânement son feutre de côté.

  1. La tentation de saint Antoine, p. 199.
  2. La tentation de saint Antoine, p. 213.
  3. La tentation de saint Antoine, p. 255.