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être traité à sa manière. Les personnages appellent une observation analogue. Salammbô, bâtie de toutes pièces, ne vit point. Les chimistes ont beau composer du vin, ils ne peuvent lutter avec les coteaux pleins de soleil. Quelque chose manque à leurs synthèses.

Les pays d’Orient tout brûlés, engourdis « dans un pesant repos », sur qui le vent du désert secoue parfois ses ardeurs, ressortent seuls dans Salammbô. Lorsqu’il consulte ses souvenirs, Flaubert peint magistralement. Et que de fois ne s’est-il pas promené dans ces paysages morts sous les gaietés de l’éclatante lumière !

Ces découpures franches contrastent avec les clartés bleuâtres et mystiques où baigne le temple de la déesse Tanit. L’héroïne est enveloppée d’un halo qui donne à ses formes un tremblotement lunaire. Flaubert cède à son goût romantique pour la bizarrerie et l’exotisme.

Dans ce même ordre de conceptions, Flaubert a écrit deux des Trois contes, la Légende de saint Julien l’Hospitalier et Hérodias. Hérodias a bien des rapports avec Salammbô : même bariolage, mêmes acteurs factices, même soleil d’Orient. L’autre semble le songe d’un dormeur éveillé.

Mais le triomphe du Flaubert lyrique, c’est cette stupéfiante Tentation de saint Antoine, écrite avant Madame Bovary ; elle a été remaniée bien des fois et publiée seulement en 1874. Les visions de l’ermite se succèdent avec la rapidité confuse des images d’un kaléidoscope. Et le poète s’amuse !

« Comme c’est bon, le parfum des palmiers, le frémissement des feuilles vertes, la transparence des sources ! Je voudrais me coucher tout à plat sur la terre