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tielles. Les détails n’ont pas seulement un but d’évocation, mais souvent un but d’harmonie.

Ici, une constatation :

Dans les livres dépure observation, l’abondance des petites choses donne le relief ; les myopes, ceux qui tiennent compte de tout parce qu’ils sont obligés de regarder de très près, ont l’avantage sur les presbytes qui se contentent des grandes lignes. Les romans de M. Zola sont plus vivants que les romans de Stendhal, les détails de la vie matérielle, dédaignés par le second, étant mis en pleine lumière par le premier. Mais dans un livre où l’invention a un grand rôle, où les choses ne sont pas sous vos yeux dans leur coloration et dans leur mystérieuse harmonie, où l’auteur doit reconstruire de toutes pièces des êtres etdes monuments dispnrus, d’après des données peu complètes, il est périlleux de se lancer dans des descriptions détaillées. Les tons juxtaposés risquent d’être criards, car le modèle reste plus ou moins arbitraire ; il y a dans cet agencement de couleurs artificielles une véritable « chinoiserie » littéraire, comme disait Sainte-Beuve avec ce tact qui lui donnait tout de suite un mot juste. Et ce procédé fatigue vite. On peut comparer, pour vérifier cette observation, deux descriptions, prises au hasard, l’une dans Madame Bovary et l’autre dans Salammbô. Dans l’une, tout flatte l’œil, parce que tout, comme dans la nature, concorde et s’harmonise ; dans l’autre, l’emploi de la même mé- thode choque, et rien ne se dresse nettement devant nous, parce que tout est subjectif et de simple conception humaine. Si l’auteur de Salammbô s’était contenté des grandes lignes, le livre aurait gagné ; si, au contraire, dans Madame Bovary, Flaubert n’avait pas détaillé, rien ne serait aussi saillant. Chaque sujet veut