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le lyrique et l’observateur, le lyrique qui songe à des splendeurs extra-naturelles et s’envole vers les sommets, l’observateur armé de sa loupe à qui nulle laideur et nulle vilenie n’échappe. Sans cesse l’un de ces frères ennemis veut prendre l’essor, et, sans cesse, l’autre lui coupe les ailes et le brise sur le sol ! Cette clairvoyance cruelle ne permet pas à Flaubert de s’endormir dans les sérénités olympiennes des grands poètes : elle lui fait subir un supplice de Tantale, une souffrance d’impuissance l’amenant à conclure au néant universel.

M. Maxime Du Camp, qui a connu Flaubert dès ses années de jeunesse, nous l’a montré dans son enthousiasme et sa beauté battant le pavé de Paris où il venait faire son droit, semant autour de lui ses gaietés et ses colères, jurant de provoquer Gustave Planche qui avait mal parlé de Victor Hugo, s’engouant de médiocrités, déclamant les vers de Lucrèce avec la même chaleur que les vers des Burgraves, s’essayant dans un roman psychologique intitulé Novembre, et s’attirant trois boules noires à son examen. Maintenant on sait aussi le secret de la vie de Flaubert, cette maladie nerveuse qui le jetait dans de si terribles prostrations. La névrose explique la lenteur avec laquelle il écrivait, sa claustration et sa mort prématurée[1]. La maladie a contribué autant que les souffrances du lyrique désabusé au découragement qui emplit l’œuvre de Flaubert.

Le géant luttait avec son mal, en triomphait parfois.

  1. Plusieurs amis de Flaubert, entre autres M. Émile Zola, pensent que M. Du Camp a exagéré l’influence de la maladie sur les œuvres et la vie du romancier. Flaubert, lors de ses hivernages à Paris, allait beaucoup dans le monde, ce qui semble indiquer que sa névrose lui laissait du répit.