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mais eu l’idée de nous donner la couleur du coffre et la hauteur des roues ou de nous faire claquer aux oreilles les fers lâches battant la terre. Ce sont pourtant, je le répète, ces détails essentiels qui évoquent.

Ce souci descriptif se trouve déjà dans Balzac. La vraie innovation de Gustave Flaubert, c’est l’impersonnalité. Ne jamais se montrer entre deux pages pour se perdre en des digressions ou pour jouer le rôle du chœur antique qui s’apitoie sur les bons et gourmande les méchants ; rester toujours maître de son récit, ne se laisser emporter sous aucun prétexte ; conserver jusque dans les parties douloureuses la froideur et la sûreté de main d’un chirurgien : voilà des lois pour la généralité des écrivains naturalistes. Un conteur, M. About, par exemple, ne sait se défendre contre la tentation de lâcher de ci, de là, un mot spirituel, de donner une pichenette sur le nez d’un grotesque, de lancer une réflexion drôle à la tête d’un acteur dans l’embarras. Cette intempérance égaie certainement le récit, mais le retarde, mais brise le fil, mais détruit toute belle unité. A force de voir le nez et la main de l’auteur entre les lignes, et dans ses doigts Iles ficelles qui secouent les marionnettes, on se défie. Par sa constante maladresse, le romancier rappelle à chaque instant que l’on n’a pas en face de soi des êtres de chair, puissamment entraînés par la force des choses, mais bien des fantoches auxquels il commande. Comment se laisser émouvoir par les souffrances de bonshommes en baudruche ? Si vous cherchez dans un roman la distraction d’une heure, l’éclat de rire facile et vite oublié, ouvrez Madelon ; l’humanité saignante de Madame Bovary vous prendrait aux entrailles, vous obséderait comme une vision d’hôpital. Mais, pour peu