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en criant : Quel pauvre homme ! quel pauvre homme ! et se reproche d’avoir cru un instant qu’il fût propre à quelque chose. Elle est d’un comique lugubre et d’une ironie shakspearienne, cette histoiredu pied-bot, opéré par des ignorants, et à qui on est forcé de couper la jambe ! À chaque page éclate un rire forcé, navrant, gros de larmes et d’indignation.

La femme du médecin n’a plus le moindre regret ni le moindre respect humain. Toute pitié et toute pudeur ont également disparu. C’est la passion lâchée. Elle introduit l’amant dans la maison et se livre à lui, pendant que le mari dort en haut. Un soir on entend du bruit : « As-tu des pistolets ? demande-t-elle à Rodolphe. — Pourquoi ? — Mais… pour te défendre. — Est-ce de ton mari ? Ah ! le pauvre garçon ! » Le nigaud ne se doute de rien ; Emma a beau, dans son ardeur, faire mille imprudences ; elle a beau relancer Rodolphe jusqu’en sa gentilhommière, au milieu de ses pipes et de ses chiens ; le bourg a beau jaser — on devine comment ! — Charles reste confiant, aimant, banal. Il n’est même plus troublé par le souvenir de l’opération avortée, souvenir si vivace chez Emma. Il voit sa victime, Hippolyte, le garçon du Lion d’or, sans honte et sans remords. Oh ! le pauvre homme ! Il est bien tel qu’on nous l’a présenté, au début du livre, tournant d’un air niais sa casquette entre ses doigts, sous les quolibets de ses camarades ; comme Emma est l’enfant sentimentale et nerveuse qui passe des nuits à feuilleter les albums où l’on voit des amants enlacés, sous les clartés blondes de la lune.

Il est évident qu’Emma, délaissée par Rodolphe, qui veut bien en jouir, mais non s’en embarrasser, cher-

1. Madame Bovary, p. 187.