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Chaque mot mérite d’être retenu. L’histoire de madame Delaunay, tel est le document humain qui a servi de base à Flaubert. George Sand, lorsqu’elle voulait faire un roman, étalait sur sa table deux ou trois cahiers de papier blanc, et, sans aucune préparation, sans même avoir de plan, se mettait à l’ouvrage. Ses bâtisses sont en carton-pâte et s’effondrent une à une. Flaubert construit à chaux et à sable.

D’abord, il prend la réalité telle quelle ; sauf deux ou trois détails, le récit de M. Maxime Du Camp semble une analyse de Madame Bovary : Flaubert ne fait pas de son héroïne un laideron, voulant sans doute rendre plus compréhensibles les passions qu’elle inspire, et enfin, le mari, au lieu de s’empoisonner comme sa femme, meurt de chagrin. Nul ne saurait reprocher à l’artiste, au docteur ès-sciences sociales, ces rares et minces libertés.

Les deux figures principales sont posées. Aucuns frais d’imagination dans la suite des événements ou dans la conceptiondes caractères, aucune déformation, par conséquent. À Lamartine qui lui reprochait son dénouement et lui disait : « Vous avez été bien dur pour votre héroïne ; elle est certainement coupable, mais il y a une telle disproportion entre la faute et le châtiment ! » Flaubert pouvait répondre : « J’ai tout simplement écrit sous la dictée des événements ; mon roman n’est qu’un procès-verbal rédigé par un artiste. »

J’ai souligné le mot déformation, c’est qu’en effet, si l’on s’avise de modifier sensiblement la nature, même lorsqu’on se donne la peine de l’observer, on risque de créer des monstres, et, pour les besoins d’une situation, de faire voyager le lecteur à travers l’impossible. Or, par définition, une œuvre d’art qui n’est pas une ode,