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manche de son parapluie. Est-ce qu’on a jamais vu un peuplier de cette taille-là ? Tout au plus une asperge. Et ce bœuf, est-il assez ridicule ? Et ce paysan qui pousse sa charrue ? grand comme un joujou de deux sous. Du reste, avec des couleurs, impossible de donner l’image de la vie. Le découpage frêle, et le frisson, et la moire des feuilles ne sauraient être rendus.

Ce raisonneur-là, c’est M. Sarcey.

Et pourtant, si l’on met deux toiles en regard, l’une de Corot, l’autre de Courbet, un vaporeux paysage, peuplé de nymphes, et la lumineuse Remise des Chevreuils où l’eau semble courir sur le roc et le soleil danser dans les feuillages, le plus inexpérimenté dira : cette toile-ci reproduit les choses plus exactement que celle-là.

Avec les mêmes moyens, on peut donner une impression plus ou moins stricte de la vie. Mais il est évident qu’il y a toujours interprétation. M. Sarcey joue sur la définition même de l’art.

Pas de théâtre sans conventions, ça veut dire : pas possible de peindre sans couleurs ou d’écrire un roman sans plume, sans encre et sans papier.

Les naturalistes pensent que plus on donne la sensation de la vie, plus on fait œuvre d’artiste, et qu’on ne donne cette sensation qu’en étudiant la nature et l’homme, et en les reproduisant dans leur intégrité. Pour eux les mots : conventions théâtrales, représentent les trucs familiers à nos dramaturges contemporains, et sans lesquels, au dire de M. Sarcey, on n’entend rien au théâtre. Ils haïssent les scènes conventionnelles, rabâchées depuis un quart de siècle, et surtout les personnages convenus, sans nuances et tout d’une pièce, façonnés par des adroits à la mesure des esprits médiocres, c’est-à-dire de la majorité des esprits.