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de prétendre tel peintre inférieur à tel autre parce qu’il se sert de la brosse plus que du pinceau ? L’emploi d’une méthode, fût-elle empruntée à deux ou trois artistes précédents, ne peut infirmer en rien la bonne opinion que l’on a d’un romancier ou d’un dramaturge. M. Zola est un écrivain original, bien qu’il se serve de la langue créée par Hugo et de la méthode invariable de Flaubert. Se montrer original, c’est étudier la nature avec conscience et la rendre telle qu’on la voit.

C’est pourquoi l’on prétend qu’un critique doit examiner l’effet produit par une œuvre d’art, et non les moyens employés pour arriver à cet effet. Il me plaît cependant, au risque d’ennuyer les profanes, de démonter les rouages étroitement liés du roman naturaliste. Je veux voir l’ouvrier à l’œuvre, reconnaître ses procédés presque mécaniques, me rendre compte de la façon dont il communique le mouvement à l’ensemble. Le vulgaire contemple le décor ; entrons dans la coulisse.

M. Maxime Du Camp a raconté comment Flaubert fut amené à écrire Madame Bovary. Il venait de lire à ses amis la Tentation de saint Antoine, et l’auditoire se voyait contraint d’avouer que ce long poème en prose manquait absolument d’intérêt.

« Nous étiuns tristes en pensant à la déception de Flaubert et aux vérités que nous ne lui avions pas ménagées. Tout à coup Bouilhet dit : « Pourquoi n’écrirais-tu pas l’histoire de Delaunay ? » Flaubert redressa la tête et avec joie s’écria : « Quelle idée ! » Delaunay était un pauvre diable d’officier de santé qui avait été l’élève du père Flaubert et que nous avions connu. Il s’était établi médecin tout près de Rouen, à Bon-Secours. Marié en premières noces à une femme plus âgée que lui et qu’il avait crue riche,