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Ce que j’admire dans les vers de M. Guy de Maupassant c’est leur allure entraînante, leur emportement puissant, Ce large flot balaie les constructions laborieuses des Parnassiens.

Écoutez et voyez les oies sauvages :


Comme un double ruban la caravane ondoie,
Bruit étrangement et par le ciel déploie
Son grand triangle ailé qui va s’élargissant.

. . . . . . . . . . . . . . .

Mais leurs frères captifs répandus dans la plaine,

Engourdis par le froid, cheminent gravement ;
Un enfant en haillons en sifflant les promène,
Comme de lourds vaisseaux balancés lentement.
Ils entendent le cri de la tribu qui passe ;
Ils érigent leur tête, et regardant s’enfuir
Les libres voyageurs au travers de l’espace,
Les captifs tout à coup se lèvent pour partir.
Ils agitent en vain leurs ailes impuissantes.
Et, dressés sur leurs pieds, sentent confusément,
À cet appel errant, se lever grandissantes
La liberté première au fond du cœur dormant,
La fièvre de l’espace et des tièdes rivages.
Dans les champs pleins de neige ils courent effarés,
Et, poussant par le ciel des cris désespérés,
Ils répondent longtemps à leurs frères sauvages.


Comme voilà bien l’élargissement triangulaire d’une troupe bruissante de voyageurs, et l’allure pesante, engourdie, ballottante des captifs ; et leur sursaut ; leurs battements d’ailes, l’aspiration de leurs cous tendus et de leurs cris ! Quels vers grandioses, harmoniques ! L’auteur connaît les moindres bruits des champs, il aime les frissons et les souffles fécondants du plein air. Il traduit jusqu’au cri strident des grillons qui s’égosillent dans la fraîcheur, le gris et l’apaisement du crépuscule. Dans cette poésie, les sensations les plus ténues des hommes se confondent avec leurs sentiments.

Plus qu’aucun écrivain de notre temps, M. de Maupassant a le sens de la passion matérielle. Une griserie de