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En attendant, les inquiétudes des sens se doublent des inquiétudes de l’esprit ; et, comme dans notre Univers les chances de douleur l’emportent sur les chances de joie, ce nerveux sera plus atteint qu’un autre.

M. Sully Prudhomme promène sa philosophie sur les choses. Personne n’a rendu avec plus de charme et de profondeur la mystérieuse poésie des objets familiers. L’herbe qui se nourrit sur les tombes de la poussière des générations mortes, et les vieilles maisons dont les lézardes sont des souvenirs le font rêver.

Et toujours, et partout, ainsi que dans un parc dont les allées aboutissent au même carrefour, les questions sur la destinée de l’homme. Le poète, plein d’illusions, se trouve froissé dès son entrée dans lavie. Comme M. Sully Prudhomme, il cherche dans le monde la Justice sans la trouver. Navré du doute, voulant à tout prix une solution, il saute par-dessus les faits pour atteindre sonbut. Le poème de la Justice, dans unrhythme compliqué où sonnets et quatrains alternent, est à la fois un tour de force philosophique et un tour deforce poétique. La logique, de même que l’imagination, est une maîtresse d’erreur. Grâce à elle, presque tous les philosophes, partis d’une vérité, aboutissent par d’insensibles déviations aux plus singulières et contradictoires conséquences. M.Sully Prudhomme n’a pas échappé à la règle. Au lieu de chercher la justice sans idée préconçue, il est probable qu’en écrivant le premier vers du poème, il avait déjà dans l’esprit le stoïcisme, son dernier mot. Même sentiment dans les Stances et Poèmes. Les nuances seules diffèrent.

Il y a de l’ardeur, un juvénil espoir, de l’éclat, dans les vers sur Musset ; le lyrisme s’éteint au contraire, le vers prend une allure triste et grave dans i’invocation à Chénier ; se heurtant à des abstractions hostiles à