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l’avenir un absolu de justiceet defraternité ; leshommes deviennent bons ;


Le courant roule à Jéhovah ;


Les peuples affranchis et intelligents se tendent les mains. Pour M. Sully Prudhomme, le progrès marche à petits pas, affaiblit les rivalités immédiates sans combler les frontières, promet l’homme meilleur sans assurer l’homme excellent. Souvent même ce cœur de poète qui désire croire, à la vue du mal universel toujours étalé sur le monde, est pris d’une tristesse et d’un découragement noir. Et jusqu’à ses lèvres monte un chant de mort.


Quand je vois des vivants la multitude croître
Sur ce globe mauvais, de fléaux infesté,
Parfois je m’abandonne à des pensers de cloître
Et j’ose prononcer des vœux de chasteté.

. . . . . . . . . . . . . . .

Demeure dans l’empire innommé du possible,

Ô fils le plus aimé qui ne naîtra jamais !
Mieux sauvé que les morts et plus inaccessible,
Tu ne sortiras pas de l’ombre où je dormais !

Le zélé recruteur des larmes par la joie,
L’amour, guette en mon sang une postérité.
Je fais vœu d’arracher au malheur cette proie ;
Nul n’aura de mon cœur faible et sombre hérité.


Puis le poète chasse ces idées ; il veut qu’après tout la vie soit bonne ; il se condamne à un optimisme forcé.


Quel homme, une heure au moins, n’est heureux à son tour !
Une heure de soleil fait bénir tout le jour.


Mais la vanité même de ce bonheur l’oblige à songer. Dans les plus violents spasmes d’amour, l’homme n’étreint qu’un corps. Deux âmes ne peuvent jamais s’embrasser, jamais le désir ne se satisfait pleinement. La conception de l’amour chez M. Sully Prudhomme est plus