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pour outrage à la morale publique, est un essai très curieux de poésie moderniste. M. Richepin a des tendresses pour les va-nu-pieds de Paris. Je lui reproche de les idéaliser beaucoup trop, d’accrocher dans leurs loques trop de rayons de soleil. La population flottante des barrières, les vagabonds, les souteneurs et les filles ne méritent pas cette compassion du poète. Ils sont plus abjects, et l’arsouille n’a guère d’attendrissements lyriques devant la nature. Il est vrai que pour racheter ses complaisances, M. Richepin frappe quelquefois trop fort, s’épuise en audaces inutiles. Ilestdeceux qui prennent la brutalité pour la vérité. Certes, l’école nouvelle a montré qu’elle ne reculait pas devant les hardiesses. Mais il faut savoir les employer à propos. Dans les tableaux triviaux de M. Richepin, il y a infiniment de fantaisie. Faites de chic et non résultat del’observation, les pièces écrites entièrement en argot semblent composées à coups de dictionnaire. L’auteur, avec sa verve railleuse et gasconne, ne se moque-t-il pas de ses lecteurs lorsqu’il leur affirme qu’il parle l’argot couramment ? Le ton gouailleur de la préface permet de le soupçonner. Le poète ne s’est pas dit : Je vais livrer au public une étude de mœurs exacte. Dans presque tous ses vers on sentie désir d’ameuter la foule, de faire du tapage au moyen de quelques expressions nues et de quelques tableaux violents. C’est le coup de pistolet romantique encore, et non la simplicité sévère et froide de l’écrivain naturaliste. Dans une très belle pièce dédiée a M. Maurice Bouchor :


Tu sais, frère, combien je t’aime ;
C’est pourquoi je veux t’épargner,
En t’avertissant, le baptême
De l’expérience à gagner………