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lité qu’à une idée gracieuse ou ingénieuse ; la pensée la plus vaste se meut à l’aise dans ce cadre ; les poètes de haut vol peuvent faire des sonnets sans déchoir.

Mais ces questions de forme n’intéressent que les gens du métier. Ce qui donne au public la mesure d’un écri- vain, c’est l’influence de ses livres sur la littérature de son temps.

La génération nouvelle sait par cœur les Fleurs du mal : elle se grise de Baudelaire de même que ses aînées se sont grisées de Musset.

Et, comme les défauts se communiquent plus aisémentque les qualités, c’est surtout son maniérisme qu’on emprunte au poète de la Charogne.

Il y a là un véritable danger pour le génie français fait, avant tout, de clarté et de bon sens. Les ultra raffinent encore sur le maître. Et cependant Baudelaire semblait s’être enfoncé aussi loin que possible dans l’étrange. Jugez où l’on aboutit. Lorsque l’art sort de l’imitation franche de la nature, lorsqu’il se laisse égarer dans le cauchemar, il entre dans une impasse. Baudelaire mourut à l’âge de quarante-six ans, au seuil de la folie.

Le plus robuste des disciples de Baudelaire est, à coup sûr, M. JeanRichepin. Si les autres sont schopenhauéristes, poitrinaires et lugubres, celui-ci, au moins, de belle humeur et de poumons solides, fait plaisir à entendre, même lorsqu’il s’enroue. M. Richepin vient de l’École Normale. M. Edmond About doit renier ce parent hirsute et mal appris qui s’enivre de gros vin bleu et parle le langage des rues. La vieille Université, comme une poule qui a couvé un canard, s’effare de ce fils inoui et met ses besicles pour l’examiner soigneusement quand il passe.

La Chanson des Gueux, qui a fait emprisonner l’auteur