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Que signifie ce vers ?


Et s’enivre en chantant du chemin de la croix.


C’est, j’imagine, un souvenir des douleurs du Christ portant sa croix ; l’enfant monte inconsciemment au Calvaire ; il rit et va sans défiance s’offrir au bourreau. On est obligé de réfléchir cinq minutes pour découvrir la pensée de Baudelaire. Les poètes arabes avaient l’habitude d’écrire un commentaire de leurs œuvres ; on raconte même que l’un d’eux, ayant attendu trop longtemps pour rédiger ces notes explicatives, se vit forcé de renoncer à ce travail, car il ne se comprenait plus lui-même. L’auteur des Fleurs du mal aurait dû prendre la sage précaution des Orientaux.

Défaut rare, du reste, non moins que les qualités du livre. Alfred de Vigny seul, dans notre poésie française, a écrit des vers d’une concision aussi puissante, a ramassé en quelques mots des visions aussi amples. C’est un don que de plus grands écrivains, des hommes de génie, n’ont pas eu au même degré.

Baudelaire, comme tous les amants de la nuit, comme son maître Théophile Gautier, a la passion des chats. Leurs caresses silencieuses lui plaisent ; ils sont les amis de son travail solitaire.


Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes.


Ce dernier vers n’ouvre-t-il pas des perspectives immenses, de grandes allées de sphinx au milieu des sables déserts, sous la vaste solitude du ciel pur ? Fermez les yeux, devant vous immédiatement,


Les grands pays muets longuement s’étendront[1].


Les cahots d’une voiture sur le pavé de Paris, dans

  1. Alfred de Vigny. La maison du Berger.