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C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent.


Mais l’étrangeté de Baudelaire éclate plus encore dans la forme que dans les idées.

Il a des comparaisons absolument stupéfiantes. Il marivaude dans l’horrible.


Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.


De telles images abondent :


Le ciel, couvercle noir de la grande marmite
Où bout l’imperceptible et vaste Humanité.


Encore mieux :


Et de longs corbillards, sans tambours ni musique
Défilent lentement dans mon âme ; l’espoir,
Vaincu, pleure, et l’angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.


Voyez-vous l’angoisse planter son drapeau noir sur le crâne de Baudelaire ? Comme ce despotique est amené pour la rime ! Car ce vrai poète, qu’on nous représente comme un versificateur savant, cheville continuellement.

Il y a des défauts plus graves, une obscurité souvent complète, et M. Renan, seul, déclare que l’obscurité devient une beauté chez un poète. Voici un passage, où Baudelaire, se souvenant de ce qu’il a souffert, repérésente le poète comme un paria véritable :


Pourtant sous la tutelle invisible d’un ange
L’enfant déshérité s’enivre de soleil,
Et dans tout ce qu’il boit et dans tout ce qu’il mange
Retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage
Et s’enivre en chantant du chemin de la croix ;
Et l’esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.