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n’ont pas le sens du vert, du rouge ou de toute autre couleur. Placez-les en face d’un tableau où il n’y a pas de vert ou pas de rouge, ils jugeront aussi nettement que vous ; dans le cas contraire, ils déraisonneront. Baudelaire reste amer et triste, même devant le soleil qui est gaieté ; par conséquent il ne sera pas bon peintre du soleil et réservera ses traits les meilleurs pour les mélancolies lunaires. Il laisse glisser sur de belles pièces un rayon tombé des étoiles. Il rend avec puissance et variété les heures troubles du crépuscule ; sa tristesse et son spleen sont dans la nature à ces heures-là ; il ne les met pas où ils n’ont que faire.

A-t-on jamais mieux montré l’ensommeillement las et morbide du matin ?


Les femmes de plaisir, la paupière livide,
Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide.


Ces deux vers révèlent des expériences auxquelles a dû se complaire la bizarrerie du poète. Baudelaire a passé bien des nuits de hasard dans le lit des femmes plâtrées, à sentir frissonner contre sa chair une chair vendue.


Et l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles,
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !


Mais qu’importe, puisque l’œuvre rayonne et qu’une dizaine de pièces des Fleurs du mal vivront autant que la langue française !

La Charogne restera comme une merveille descriptive : c’est la seule poésie spiritualiste du litre.

Cependant ce sceptique avait conservé d’une première éducation catholique une adoration mystique pour je ne sais quelle madone et surtout une robuste terreur de Satan :