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et pétrarquisait[1] sur l’horrible, devait se plaire dans la compagnie de ces esprits similaires, lâchés dans le paradoxe et la fantaisie, tout fêlés par ce coup de folie lyrique, la gloire mais aussi la faiblesse de trois ou quatre générations successives, qui, dans ce déclin de siècle, réduit les derniers romantiques auxavortements et à l’impuissance finale.

Dans ce cercle de bohèmes pleins de talent, le mépris et la haine du bourgeois étaient de rigueur. Gautier mettait un costume arabe pour continuer le carnaval de 1830, Gérard de Nerval avait besoin d’une tente pour y dormir à l’aise, Baudelaire affectait une mise grossière, portait des chemises de toile écrue et des paletots sacs, aimait à se faire passer pour un ivrogne aux yeux des profanes, ou, en plein salon officiel, qualifiait les femmes d’animaux qu’il faut enfermer, battre et bien nourrir. C’était làle genre du groupe. Les initiés se réunissaient à l’hôtel Pimodan pour manger du haschich et trouver dans les rêveries bizarres de l’opium des inspirations que le spectacle de la vie grondante autour d’eux ne parvenait pas àleur donner. Baudelaire prit dans ce cénacle son allure d’halluciné, garnit sa palette des tons violàtres et verdàtres de cadavres en décomposition[2] ; il se passionna pour des écrivains rares tels qu’Aloysius Bertrand, l’auteur de Gaspard de la nuit, ou que le grand américain Edgard Poë. Plus tard il a traduit magistralement les Histoires extraordinaires et s’est identifié avec son modèle. Esprit laborieux, du reste, incapable d’écrire des poèmes de longue haleine, devant plus à l’art qu’à l’inspiration, il avait trente-cinq ans déjà lorsque, en 1856, il publia

  1. Th. Gautier.
  2. Th. Gautier.