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nel, impatienté, haussa les épaules et rabroua vertement l’importun. Baudelaire, pâle de colère, se lève et va se camper devant M. Aupick : « Vous m’insultez devant les gens de votre caste qui, pour vous faire plaisir, rient à mes dépens. Cela ne peut se passer ainsi, je vais vous étrangler. » Et il joint le geste aux paroles, Le colonel Aupick a beaucoup de peine à se délivrer de cet énergumène, lui applique une paire de soufflets, le fait emporter par les domestiques et consigner dans sa chambre. Quelques jours après, on achète au jeune homme une pacotille et on l’embarque pour les Indes. Baudelaire, à dix sept ans, était lancé à travers le monde.

Ils n’apparaissent pas clairement dans l’œuvre du poète


Ces pays parfumés que le soleil caresse.


On n’a qu’une vague vision de palmes fraîches et d’esclaves noirs. Peut-être ce dormeur éveillé n’a-t-il pas bien vu, et cependant, jusque sur nos quais et nos boulevards, il retrouvait dans ses souvenirs les acres parfums des régions tropicales ; au Cap, il s’éprit d’une négresse, bizarre déité, brune comme les nuits, dont l’image troublante revient sans cesse dans les Fleurs du mal.


Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.


Pour cet esprit qu’attire l’extraordinaire, la Vénus hottentote a plus d’attrait que la Vénus de Milo. Une liaison banale laisse froid ce poète aux nerfs maladifs ; il trouve exquis le rare, se complaît seulement dans les