Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pressions pour les sentiments troubles, inavoués, inexprimés, qui grouillent au fond de l’homme. L’indécision de certains états psychologiques le fascine comme le clair obscur des nuits traversées de lune. Sur le monstrueux de quelque désir vague, la fièvre hallucinante et la terreur des insomnies, le poète projette « on ne sait quel rayon macabre. » Victor Hugo lui écrivait : « Vous avez doté le ciel de l’art d’un frisson nouveau. »

Cette sensibilité maladive marquait ici la place de Baudelaire ; il a raffiné sur la poésie romantique un peu comme les Goncourt sur la prose. Dans la plupart des poètes contemporains, qui inclinent davantage vers la robustesse naturaliste, on retrouve la touche frissonnante des Fleurs du mal.

Il est donc nécessaire de décomposer cette influence, d’analyser l’homme et le livre. Etude d’une difficulté attachante. On y éprouve la volupté du mathématicien détaillant fil à fil l’écheveau embrouillé d’un problème délicat.

Charles Baudelaire est parisien. Né le 21 avril 1820, il avait quatorze ans lorsque sa mère se remaria avec le colonel AupicK. Immédiatement, lutte contre le beaupère. La raideur militaire du colonel, loin de briser l’enfant, lui donnait une nouvelle énergie de résistance.

Le futur poète des Litanies de Satan poussait dans le terrain qui convenait le mieux au développement de son imagination révoltée. Dès son adolescence, il se montre, comme plus tard, d’une extravagance sans égale. M. Maxime Du Camp a raconté la scène violente qui amena une rupture définitive entre le colonel et son beau-fils. Un soir, à table, Baudelaire, se mêlant à la conversation, lançait à dessein quelque paradoxe brutal pour horripiler l’assistance bourgeoise. Le colo-