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M. Leconte de Lisle. Tête superbe, et massive, portée comme un saint sacrement, aux longs cheveux rejetés en arrière, des yeux calmes et froids, un nez fort mais régulier, une bouche mince, un peu dure, expressivement plissée, un menton énergique, imberbe comme la lèvre supérieure, une taille haute, des membres harmonieux, solidement attachés, une attitude olympienne. Créole, originaire de l’île Bourbon, il se plaît à égarer sa rêverie dans les forêts inextricables de l’Inde, il s’enchevêtre dans les lianes, aime à suivre de l’œil le glissement des boas ou à entendre le barrissement des éléphants, il s’abandonne au pesant repos des plaines endormies sous le soleil des tropiques, et, dans l’écrasante lumière, rêve au néant divin. Les voluptés rouges du suicide, le continuel désir de l’immobilité de la mort hantent cet esprit grandiose, amoureux du Nirvanâ de l’Inde. L’auteur des Poèmes barbares a le mépris de notre civilisation moderne, de notre mercantilisme et de nos petitesses. Il préfère les sauvageries d’autrefois et fuit dans le passé comme les générations chrétiennes dans le souvenir d’un Paradis Perdu.


Hommes, tueurs de Dieu, les temps ne sont pas loin,
Où, sur un gros tas d’or vautrés dans quelque coin,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches.


Illusion éternelle qui dore les temps évanouis d’une rose lueur de crépuscule ! On a beau, comme M. Leconte de Lisle, fouiller l’histoire et traduire les grandes œuvres de l’esprit humain, les livres qui sont des monuments, l’érudit se laisse prendre ainsi que le poète. Il ne se dit pas :


. . . . . . . Jamais l’homme ne change :
Toujours ou victime ou bourreau[1].

  1. Lamartine. Harmonies.