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  LIVRE I. 36


Quantes fois JUlr les prez, les bois et les rivages,
Ay-je conté ma peine aux animaux sauvages,
Comme s'ils eussent peu mes douleurs secourir!
Les antres pleins d'efrroy, les rochers solitaires,
Les desers separez estoient mes secretaires,
Et, leur contant mon mal, je pensoy me guarir.

Quantes fois plus joyeux ay-je allegé ma paine,
Ile laissant endonnir d'une esperance vaine,
Qui, s'envollant en songe, augmentoit mon tourment!
Combien de mes deux yeux ay-je versé de plui~?
Et combien de bon coeur ay-je maudit ma vie,
)le forgeant sans raison un mescontentemeut!

Celuy qui veut conter les douloureuses paines,
Les regrets, les soucis, les fureurs inhumaines,
Les remords, les frayeurs qu'on supporte en aimant,
Qu'il conte du printans la richesse amassée,
Les vagues de la mer quand elle est courroussée,
Et par les longues nuits les yeux du firmament.

Le forçat enchaisné quelquesfois se repose,
Le pauvre prisonnier, dedans sa prison close,
Clost quelquesfois les yeux et soulage ses maux;
Au soir le laboureur met ses boeufs en l'estable,
Et, doucement forcé d'un sommeil agreable,
Remet jusques au jour sa peine et ses travaux.

Seulement le chetif qui couve en sa pensée
Le poignant aiguillon d'une rage insensée
Ne sent point de relasche entre tant de malheurs:
Si le jour le faschoit, la fr~yeur solitaire
Elle silence coy r'entament sa misere,
Renvenimp.ot sa playe et frappent ses douleurs.